Il y a un avant et un après 24 février 2022. L’invasion de l’Ukraine, plus important conflit en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale, a ramené les enjeux de défense au cœur des préoccupations des États européens, jusqu’alors restés relativement à l’écart du mouvement global de remilitarisation.
En 2022, les dépenses militaires dans le monde ont atteint le record de 2.240 milliards de dollars, en progression de 6% d’une année sur l’autre, selon l’institut suédois Sipri.
En Europe, les budgets de défense des États du Vieux Continent se sont envolés de 13% dans le même temps, enregistrant leur plus forte poussée en trente ans.
La recrudescence des tensions géopolitiques internationales, avec un nombre record de conflits armés, est de nature à conforter cette tendance dans la durée. Depuis le début de l’offensive russe, 68% des équipements militaires achetés par les Européens ont cependant été produits par des entreprises américaines, selon la Commission européenne.
Spécificité du marché de la défense, l’État français est à la fois un important donneur d’ordre et premier actionnaire des grands groupes du secteur (Airbus, Safran, Thales, Naval Group, KNDS) ou, à défaut, détenteur d’une action de préférence (Dassault Aviation).
Autre particularité, la plupart des géants du secteur ont un modèle «dual», combinant activités civiles et militaires. Au sein de la cote parisienne, Le Revenu a passé au crible les valeurs les plus exposées à l’armement.
Navigant le plus souvent à proximité de leur sommet absolu, ces titres ont généralement connu un très beau parcours boursier depuis 2022.
Car cet environnement porteur n’a pas échappé aux investisseurs, jusque-là soucieux des enjeux d’ESG (environnement, social et gouvernance). Avant la guerre en Ukraine, «les réglementations internes des fonds leur interdisaient, dans de nombreux cas, d’investir dans les sociétés cotées qui relèvent de la défense», comme le rappelle Stéphane Klecha.
Mais les fonds souverains et les gros institutionnels de la zone euro – en particulier ceux d’Europe du Nord, les plus pointilleux sur ce sujet par nature controversé – commencent à reconsidérer leur position. En développant l’idée que «l’ESG n’a de sens que dans le contexte géopolitique dans lequel on vit, explique Stéphane Klecha.
C’est un nouveau discours auquel les investisseurs étaient beaucoup moins réceptifs il y a deux ans. Ce sera toutefois un processus long, car on ne change pas en quelques mois une perception construite en une décennie. L’important, c’est la tendance», estime le banquier.
Nom [code] | Cours(1) | Variation(1) 3 ans | Capitalisation boursière(1) | Conseil |
---|---|---|---|---|
Cybergun [ALCYB] | 0,011€ | 99,9% | 1 million d’€ | Vendez. Le spécialiste des armes factices envisage de nouveaux financements dilutifs, notamment pour son activité militaire (plus de la moitié de ses revenus en 2023). |
Egide [ALGID] | 0,66€ | 38,3% | 11 millions d’€ | Conservez. La dynamique commerciale du fabricant de boîtiers de protection électronique, notamment pour la défense, reste poussive. Augmentation de capital l’an passé. |
Latécoère [LAT] | 0,016€ | 99,3% | 202 millions d’€ | Vendez. Au travers d’acquisitions récentes, l’équipementier aéronautique réalise environ 15% de ses ventes dans la défense. Levée de fonds très dilutive lancée l’an dernier. |
Logic Instrument [ALLOG] | 1,02€ | +81% | 9 millions d’€ | Achetez. Après avoir racheté Elexo à Atos, l’intégrateur de solutions mobiles durcies devrait être porté par les contrats récemment gagnés dans la défense (60% de l’activité l’an passé). |
Lumibird [LBIRD] | 13,46€ | 14,8% | 302 millions d’€ | Vendez. La croissance du fabricant de lasers devrait continuer à être tirée par la défense (19% des ventes en 2023). Mais déceptions à répétition sur les performances financières. |
NSE [ALNSE] | 26,60€ | +27,9% | 90 millions d’€ | Conservez. Doté d’une solide visibilité, l’équipementier électronique engrange de solides commandes dans le domaine militaire. Bien valorisé, le titre est trop peu liquide. |
Parrot [PARRO] | 2,30€ | 61,9% | 70 millions d’€ | Vendez. Le redéploiement du concepteur de drones professionnels vers la défense et la sécurité reste insuffisant pour freiner l’accumulation de lourdes pertes. |
(1) Cours et variation arrêtés au 25 mars 2024. Source: Factset.
En multipliant les contrats à l’international ces dernières années, l’avionneur voit les qualités du Rafale reconnues par les États clients.
Réalisant 62% de son chiffre d’affaires de 4,8milliards d’euros dans le militaire l’an dernier, Dassault Aviation a, dans le passé récent, engrangé de nombreuses commandes d’avions de chasse en Inde, en Égypte, au Qatar, en Indonésie, en Croatie et en Grèce. Avec, en point d’orgue, la vente record de 80 appareils aux Émirats arabes unis, fin 2021.
Cela n’empêche pas le constructeur familial d’avoir dans son viseur de nouvelles cibles commerciales comme l’Arabie saoudite, ainsi que la possibilité de commandes additionnelles en Inde ou en Égypte.
Sans compter la sécurisation apportée par la dernière loi de programmation militaire, qui vise à renforcer la flotte de l’Armée de l’air française de 37 Rafale à l’horizon 2030.
De quoi assurer une visibilité confortable à Dassault Aviation, qui dispose d’un carnet de commandes historique de 38,5 milliards d’euros, dont 88% dans la défense.
Avec 211 Rafale à livrer (dont 141 à l’exportation), l’industriel a devant lui seize ans de production au rythme actuel.
Bien que freinée par des tensions au niveau de la chaîne de fournisseurs, cette cadence a vocation à s’accélérer à l’avenir. En Bourse, le groupe capitalise moins que la somme de sa trésorerie nette de 7 milliards d’euros et la valeur de la participation de 26% dans Thales (8,4 milliards), récemment renforcée. Achetez.
Majoritairement civil, l’équipementier aéronautique met davantage l’accent sur la souveraineté depuis 2021. Selon les années, ses activités militaires tournent autour de 20% du chiffre d’affaires (23 milliards d’euros au total en 2023).
Elles sont réparties pour moitié dans les moteurs, pour le Rafale (avec un poids équivalent à 20% de sa valeur) et pour d’autres avions de combat, ainsi que pour des hélicoptères dédiés aux armées.
L’autre moitié concerne l’électronique de défense, avec un rang de leader européen, voire mondial, sur des niches bénéficiant de fortes barrières à l’entrée (optronique, navigation inertielle, spatial…).
Ces dernières années, le groupe a multiplié les opérations de croissance externe pour renforcer ses positions. En 2022, le rachat d’Orolia pour 400millions d’euros l’a propulsé numéro un mondial des solutions «positionnement navigation temps résilient».
Associé à MBDA, Safran a pris, la même année, le contrôle du fabricant de lasers Cilas. Et le français projette d’acquérir les activités commandes de vol de Collins Aerospace pour 1,8 milliard de dollars.
Il conteste le veto de l’Italie sur l’entité transalpine de l’américain, qui fournit l’Eurofighter. Conservez.
À l’image de Safran, l’aéronautique commerciale est traditionnellement dominante au sein de l’avionneur. Airbus revendique toutefois d’être le premier acteur de la défense en Europe.
Ses hélicoptères militaires et l’A400M font du géant francoallemand un poids lourd du secteur.
De même que sa branche défense et espace, qui fabrique des drones, des satellites et des systèmes de communication sécurisés.
Au total, les activités de défense d’Airbus sont estimées à près de 20% de son chiffre d’affaires (65 milliards d’euros au total en 2023).
Contre toute attente, le groupe européen profite peu du boom des budgets militaires. En cause, notamment, des difficultés rencontrées dans l’exécution de programmes.
D’où la décision de restructurer la division Airbus Defence and Space, dont la croissance et la profitabilité sont restées poussives l’an passé.
La dynamique est plutôt du côté des avions de combat Eurofighter et surtout de MBDA, premier missilier européen et numéro trois mondial, dont les commandes explosent depuis 2022.
Airbus ne possède que 37,5% du capital de ces deux entités, des participations stratégiques non consolidées dans ses comptes. Conservez.
Dans la défense-sécurité, son métier historique, qui totalise plus de la moitié de ses facturations (sur un total de 18,4 milliards d’euros l’an passé), le groupe d’électronique civile et militaire continue d’évoluer sur une trajectoire très favorable.
En 2023, le premier acteur européen de l’électronique de défense a ainsi aligné un cinquième exercice consécutif de prises de commandes supérieures au chiffre d’affaires.
Il bénéficie d’une solide visibilité grâce à un carnet de commandes record de 35 milliards d’euros, qui représente 3,6 années de revenus dans ce domaine.
Et la direction de Thales compte maintenir une rentabilité opérationnelle de 13%, au niveau des acteurs mondiaux les plus performants.
Le groupe développe des offres à la pointe de la technologie parfaitement adaptées aux tendances de sophistication des armées, comme l’estiment les analystes d’UBS.
Il est bien positionné pour surfer sur un cycle de croissance de dix à quinze ans, sur fond de tensions géopolitiques de nature à accentuer l’envolée des budgets militaires des États, notamment en Europe, son principal débouché.
En outre, Thales est à même de profiter de nouveaux succès à l’export du Rafale. Car le français l’équipe en outils électroniques (radars, systèmes de communication, d’observation et de reconnaissance, etc.), pesant environ un quart de la valeur de l’avion de combat conçu par Dassault Aviation, son partenaire industriel et actionnaire privé de référence. Achetez.
Recentré depuis l’an passé sur la robotique autonome, l’ex-Groupe Gorgé affiche une dynamique commerciale à toute épreuve. Le concepteur de drones et systèmes critiques, équilibré entre applications civiles et militaires, prévoit une progression à deux chiffres de ses revenus cette année, après un bond de 16% en 2023.
Contrôlé à 67% par Exail Technologies, l’ensemble issu du rapprochement de sa filiale ECA avec Ixblue – un spécialiste de la navigation inertielle et des sonars racheté en 2022 – est bien positionné pour gagner de nouveaux appels d’offres significatifs dans la défense, pour un total qui se monte potentiellement à près d’un milliard d’euros (Australie, Émirats arabes unis…).
Le groupe familial est, en outre, doté d’un carnet de commandes de 630 millions d’euros, soit près de deux ans de chiffre d’affaires.
Associant visibilité et perspectives de croissance rentable solides, il bénéficie d’un profil d’investissement attrayant. Achetez.
Par Philippe Benhamou